François Fillon a choisi la pire des stratégies: celle du pourrissement, et de la lassitude. A force d’esquiver les marchés et les Français, de dénoncer les journalistes, désignés à la vindicte publique, d’accabler les juges, accusés de comploter contre son programme, le candidat des Républicains à l’Elysée espère tourner la page du favoritisme qu’il a procuré à sa famille durant de longues années.
Cette politique est celle de la terre brûlée. Qu’un candidat de ce niveau, et qui professait naguère une telle hauteur de vue à laquelle beaucoup, dont moi, crûrent, dénigre toutes les institutions démocratiques pour éviter de faire face à son passé est à la fois consternant et dégradant pour le débat public. Cette politique porte en elle les fruits amers d’un malaise qui serait étouffant, s’il perdurait, le jour où François Fillon accéderait à l’Elysée. Quel regard porterions-nous sur ce responsable politique s’il parvenait à asseoir son succès sur le déni et le refus d’affronter son passé? Comment parlerions-nous de lui, de sa conception de la politique, de ses projets rigoureux, de son autorité, de sa famille, si l’abcès était demeuré purulent comme il l’est aujourd’hui.
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François Fillon peut ainsi forcer le destin parce qu’autour de lui, ses soutiens politiques se taisent et se font complices de sa stratégie du pourrissement. Ils le font par veulerie, et ne rendent pas service à la République, par cynisme aussi, parce qu’ils se disent que ce qui compte après tout, c’est la victoire, et que peut-être la situation sera-t-elle différente quand ils la regarderont depuis les palais nationaux.
À sa manière, la presse est complice, par lassitude évidemment. Comment remâcher sans cesse cette histoire glauque? Je sais déjà la voilée de bois vert qui sera réservée à ce billet. Mais je ne me résous pas au silence. J’éprouve une vraie souffrance à voir ainsi la démocratie bafouée. François Fillon a commis des actes qui choquent la morale, ne parlons pas de la légalité, en employant longtemps sa femme et ses enfants dans des conditions couturées de contradictions et d’imprécisions. Il a menti, en direct, à la télévision, et aussi au bureau de l’Assemblée nationale, sur les conditions d’emploi de sa femme. Il a détourné, dans leur esprit, l’utilisation des fonds que le parlement met à la disposition des parlementaires pour les aider dans leur travail législatif.
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Je n’en veux pas à François Fillon de tout cela. Je lui en veux de ne pas l’assumer, de ne pas l’expliquer aux Français, de ne pas s’expliquer devant eux, et de ne pas proposer de rembourser une partie au moins des sommes versées indûment. C’est une folie de nous entraîner tous dans cette voie douloureuse, c’est un égoïsme aussi, et par dessus tout, ce qui ne cesse de me surprendre venant de lui, une incompréhension de la charge qui incombe à celui qui veut représenter le peuple et le diriger depuis le plus haut sommet de l’Etat.
Comment peut-on prétendre honorer la République en niant ainsi les valeurs les plus élémentaires de la démocratie?
Dans ce contexte, le silence de Pénélope Fillon devient lui aussi insupportable. Cette femme, que nous ne connaissons pas, se trouve au cœur d’un système de complaisance alimenté depuis des années par un argent public possiblement détourné de son objet. Elle aussi nous doit des explications. Comment a-t-elle pu cumuler deux emplois durant de longs mois? Pourquoi le suppléant de son mari lui a-t-il alloué la quasi totalité de l’enveloppe destinée à rémunérer ses assistants parlementaires? Qu’a-t-elle pensé de l’emploi de ses enfants par son mari comme assistants au Sénat dans la période où elle même exerçait la même fonction à l’Assemblée nationale? N’a-t-elle pas perçu l’étrangeté de la situation qui s’apparente à ce qu’il faut bien nommer un abus? L’immoralité de la situation ne lui est-elle pas apparue, à elle, à l’époque, comme elle nous l’apparaît aujourd’hui?
L’entourage de François Fillon était catégorique à la fin du mois de janvier: Pénélope Fillon va s’exprimer. Une interview a même été programmée avec Paris Match. Et puis rien. Ressentant l’incongruité de la situation, l’avocat de Pénélope Fillon, maître Cornut-Gentille, a évoqué voilà une semaine, sur LCI, la possibilité d’une explication de la part de l’épouse de l’ancien premier ministre. Et là encore, rien.
Il serait utile, pourtant, que Pénélope Fillon parle, qu’elle nous dise sa vérité, et ses sentiments après avoir perçu pendant aussi longtemps un argent public dont beaucoup pensent qu’il n’a pas été versé à bon escient.
La pire des erreurs dans une démocratie, c’est de ne pas parler des problèmes, des difficultés, de les nier par le silence et de les enterrer sous des considérations autoritaires ou opportunistes. Refuser de répondre aux critiques ne fait pas disparaître le ressentiment et la colère. Au contraire. Cela ne fait qu’alimenter la rage et grossir la défiance. Son expérience de l’Etat et son intelligence personnelle ont appris cela à François Fillon depuis longtemps. Seule, une immense culpabilité l’amène aujourd’hui à se détourner de l’exigence qui lui incombe d’évoquer publiquement ses attitudes passées. Et si décidément il ne possède pas le courage d’affronter lui même cette situation, alors qu’il autorise son épouse qui est une femme honnête et dévouée à parler enfin pour dissiper la chape poisseuse sous laquelle est en train de s’engluer cette horrible campagne présidentielle.