A qui confie-t-on le pouvoir? Cette question est essentielle dans une démocratie. La réponse découle de la capacité collective à saisir et comprendre la psychologie de celle ou de celui qui postule aux plus hautes fonctions.
Dans le cas de François Fillon, candidat désigné par les Républicains pour exercer la présidence de la République, il est désormais possible de cerner avec précision les ressorts et les contours de sa personnalité. Une interview de Bruno Retailleau, sénateur filloniste de la Vendée, ami de toujours et de la traversée du désert, nous aide dans cette recherche. Publié dans le journal Le Figaro, le samedi 14 janvier 2017, à 109 jours précisément du premier tour de l’élection présidentielle, cet entretien décrit un Francois Fillon rigide et fermé au dialogue, n’écoutant personne et se moquant totalement des avis extérieurs. Cause toujours, tu m’intéresses, semble être la devise de l’homme qui veut devenir président, un renseignement précieux avant le détour civique par les urnes.
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Voici les éléments du dossier psychologique.
Le Figaro entame la discussion en évoquant des études d’opinion, légèrement à la baisse pour le candidat des Républicains. Vu la mauvaise presse des sondages dans la période actuelle, Bruno Retailleau n’a aucun mal à réfuter la critique. Mais les mots qu’il choisit pour le faire méritent d’être relevés:
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Après ce que nous avons vécu à la primaire, nous sommes définitivement immunisés contre les sondages. François Fillon reste lui-même, serein, imperturbable, il trace son sillon sans se soucier des prédictions.
Glissons élégamment sur l’affirmation selon laquelle un homme politique ne regarde jamais les sondages. A l’usage, elle est tout le temps mensongère. Qu’il ne se laisse pas guider par les études d’opinion, soit. Qu’il n’en tienne aucun compte, c’est une autre chanson. Ces études fournissent tout le temps des indications intéressantes, qui peuvent recouper et renforcer des intuitions ou des témoignages venant du terrain. Ces affirmations radicales concernant les sondages n’ont aucun sens, et non plus aucune sincérité.
Revenons à nos moutons. Pour décrire le François Fillon qu’il connaît bien, Bruno Retailleau choisit des mots qui disent la certitude, l’assurance, mais aussi l’enfermement. « Imperturbable », « trace son sillon », « sans se soucier »: tout cela se veut positif, et ça l’est d’une certaine manière. En même temps, les formules décrivent une personne qui n’écoute pas, c’est-à-dire une personne qui sait à l’avance que ce qui lui sera dit n’aura aucun intérêt puisque l’objectif, c’est de continuer à tracer droit le sillon, quels que soient les changements du monde autour.
Cette description se confirme dans la suite de l’entretien. Le journaliste soumet au sénateur filloniste les critiques de Laurent Wauquiez et de Christian Estrosi, qui souhaiteraient introduire des dispositions « sociales » dans le projet du candidat.
Évacuation violente de la demande:
On ne peut pas plaider pour une droite qui s’assume et s’enfuir à chaque coup de sifflet de la police de la pensée. Ne nous laissons pas impressionner et emprisonner par les mots de la gauche.
La charge est lourde. Laurent Wauquiez et Christian Estrosi sont depuis des années, sinon des décennies, des fantassins d’une droite assumée. Que leurs remarques soient assimilées tout à coup aux « mots de la gauche » et à la « police de la pensée » signifie clairement que même s’ils vivent à l’intérieur du parti que représente désormais François Fillon, ils peuvent très vite être considérés comme des ennemis, ce qui les concernant est un comble, presque une injure. S’ajoute ainsi au constat d’enfermement évoqué tout à l’heure l’idée que toute observation, d’où qu’elle vienne, est considérée par le candidat des Républicains comme une agression, en aucun cas comme une aide, et sans doute pas animée par une volonté constructive.
Nulle surprise dans cette construction: la solitude engendre la paranoaïa. L’homme qui vit seul voit comme une menace tout ce qui peut rompre sa solitude. Bruno Retailleau confirme que le sujet Fillon correspond en tout point à cette observation ancienne de la psychologie.
Le journaliste du Figaro ne se décourage pas. Il cite une phrase curieuse de l’un des portes-parole de François Fillon, le député Benoît Apparu, qui a affirmé récemment que le terrorisme n’avait rien à voir avec l’islam. Bon, on a du mal à saisir la pensée, inutile donc d’épiloguer. Notons juste que cette citation fournit à Bruno Retailleau une nouvelle occasion de rappeler le caractère inébranlable de son patron:
Sur ce sujet comme sur les autres, il n’y a qu’une seule ligne, celle de François Fillon.
Il est frappant de constater comment l’ami du candidat se saisit d’une question pour formuler une réponse de portée générale. Parlez donc de ce que vous voulez, dites ce qui vous passe par la tête à propos de tout et même de n’importe quoi, de toutes les façons, François Fillon s’en moque, et on est poli, puisque seule compte pour François Fillon la pensée de François Fillon.
Rarement, portrait d’un autocrate aura été dessiné dans la démocratie française contemporaine avec autant d’entrain et aussi peu de retenue. Il y a dans la description un petit côté Staline, et pour cette raison, on soupçonne même Bruno Retailleau de ne pas toujours mesurer l’effet qu’il distille en s’exprimant de manière aussi abrupte.
Ce qui sonne juste en revanche, car cela renforce les observations précédentes, c’est la description de la solitude dans laquelle vit le candidat, et de son inaccessibilité aux autres. Cela peut rassurer ceux qui recherchent de l’autorité dans l’exercice du pouvoir. Cela peut inquiéter ceux qui pensent que la gestion d’une démocratie aux multiples intérêts contradictoires réclame une certaine souplesse de caractère.
Chacun choisira son camp.
Un petit dernier pour la route. Presque le plus savoureux. Poursuivant son chemin de croix, interroger un mur n’est jamais facile, le journaliste du Figaro dont il convient de citer le nom pour saluer le courage, Marion Mourgue et Judith Waintraub, ah tiens elles sont deux, deux femmes, se réfèrent aux critiques de Francois Bayrou. Réponse au bulldozer:
François Bayrou peut tout à fait monter à bord mais qu’il ne s’attende pas à ce que nous changions de direction, et encore moins de convictions. Ce n’est pas le style de François Fillon de céder à la pression, d’où qu’elle vienne d’ailleurs.
Au moins, le tableau est homogène. Et tout le monde est prévenu. Encore que… L’épisode comico-comique de la Sécurité sociale témoigne d’une réalité un peu différente. Face à Alain Juppé, dans l’entre deux tours de la primaire, François Fillon a clairement exprimé son projet de réserver les remboursements de la vieille dame aux maladies graves. Devant le tollé, il s’est embrouillé, embourbé, noyé, au point de ne plus savoir ce qu’il veut exactement. S’il n’a pas encore dévié du sillon qu’il trace, paraît-il, toujours droit, il parait quand même assez proche d’effectuer sur la question un zig-zag.
De cet épisode, on peut tirer une leçon: un vrai dur n’est pas souvent celui qui s’affiche ainsi.