Jusqu’à présent, la presse traite avec une certaine circonspection le rapport que le Front national et ses dirigeants entretiennent avec l’argent.
Les banques françaises ne veulent pas nous prêter de l’argent et c’est un scandale, assure Marine Le Pen? Le message est repris, diffusé, répercuté, sans pouvoir évaluer la part de vérité qu’il contient. Nous avons besoin de 29 millions d’euros pour les campagnes présidentielle et législatives de 2017, déclare le trésorier du FN? Le chiffre, assez faramineux tout de même, est accepté tel quel parçe que personne, au fond’ ne sait exactement ce qu’il recouvre. Jean-Marie Le Pen, pestiféré au point d’être exclu du parti qu’il a fondé, prête 6 millions d’euros à sa fille qui le déteste? Personne ne s’étonne vraiment de cette contradiction entre la pâte humaine et la réalité financière.
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Marine Le Pen se plaint souvent du traitement médiatique dont elle l’objet. Qu’elle se console en convenant que personne n’est véritablement exigeant avec les chiffres, les sommes, les prêts, qui décrivent la vie financière du Front national.
Longtemps selon la légende, le Front national a été pauvre, alors même que son fondateur a toujours été riche. Délaissons la période préhistorique pour marquer d’une pierre noire l’an 2007, celui du début officiel des vaches maigres pour le parti. Cette année là, le chef a été mauvais. Il a loupé l’élection présidentielle et les élections législatives qui ont suivi se sont révélées calamiteuses. Ce dernier scrutin est décisif pour le financement de la vie politique. Chaque parti perçoit pendant toute la législature qui suit environ 1,60 euro par voix enregistrée lors du premier tour des législatives. En 2007, le Front national enregistre l’un de ses pires scores: 1,116 millions de voix, seulement 4,29% des suffrages. La sanction est lourde: la dotation publique entre 2007 et 2012 sera de « seulement » 1,7 million d’euros.
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Ceci entraîne une réduction obligatoire du train de vie du parti d’extrême qui doit se débarrasser de certains de ses collaborateurs et vendre aussi son « paquebot » de Saint Cloud, bloc disgracieux de béton qui fut le théâtre des bas et des hauts de l’aventure lepéniste.
Après la pluie est venu le beau temps, parce qu’après le père est venue la fille.
En 2012, Marine Le Pen réalise le meilleur résultat d’un candidat du Front national lors d’une élection présidentielle. Alors que Jean-Marie Le Pen plafonnait entre 4,5 et 5 millions de voix à chacune de ses tentatives élyséennes, la nouvelle présidente du parti d’extrême droite agrège sur son nom 6,4 millions de suffrages, soit 17,90% des votants. Installés sur cette formidable rampe de lancement, les candidats du Front national aux législatives qui suivent totalisent 3.528.663 millions de voix. Chacun de ces suffrages rapportant environ 1,60 euros, c’est 5,6 millions d’euros qui tombent chaque année, de 2013 à 2017, dans les caisses du parti de Marine Le Pen.
« Jackpot pour le FN! », titre Le Figaro du 28 mai 2013, lorsque sont connus les chiffres officiels de la dotation publique aux partis. Tout le monde comprend alors qu’un temps de vaches grasses s’annonce pour les frontistes. Il ne tient qu’à eux désormais de se montrer prévoyants et prudents en mettant de côté les sommes nécessaires au financement de leurs actions politiques futures. En outre, une bonne nouvelle en appelant d’autres, les résultats enregistrés lors des élections européennes de juin 2014, puis aux élections régionales de décembre 2015, leur apportent une phalange d’élus supplémentaires: 24 députés européens, une centaine d’élus régionaux, lesquels reversent une partie de leurs indemnités au parti, ce qui au total représente une récente d’environ un million d’euros par an.
Ces bonnes performances assurent ainsi au parti une recette annuelle de sept millions d’euros. Et ce n’est pas tout. Les adhésions de militants ont suivi et elles font entrer chaque année plus de deux millions d’euros de cotisations dans les caisses du Front national. D’où sort ce chiffre? Du magazine Challenge qui, en mai 2015, a interrogé sur le sujet Wallerrand de Saint-Just, le trésorier du parti. La source est fiable, et donc le chiffre aussi.
Au total donc, depuis 2013 et jusqu’en 2017, le Front national engrange chaque année 9 millions d’euros de recettes. Pas mal pour une PME politique, de quoi voir venir en tout cas, c’est à dire de financer les dépenses courantes et aussi d’économiser en vue des prochaines échéances.
Curieusement pourtant, plus le Front national engrangé de l’argent dans cette période, et plus il en emprunte.
Le 8 avril 2015, le magazine Paris-Match apprend à ses lecteurs que COTELEC, le micro-parti opaque créé en 1988 par Jean-Marie Le Pen, a prêté au Front national 4 millions d’euros. En novembre 2014, nous apprendra le site Médiapart, ce sont 9 millions d’euros qui sont prétés au FN par la First Czech Russian Bank (FCRB), une banque située à Moscou et dirigée par des amis de Vladimir Poutine. Que deviennent tous ces millions? En tout cas, ils ne dorment pas puisque nous apprenons cet automne que COTELEC, encore, prête au Front national 6 millions d’euros. Et cela ne suffit toujours pas.
Dans le journal Le Parisien du dimanche 8 janvier 2017, Marine Le Pen explique qu’elle a encore besoin de 6 millions pour boucler son budget. « Il nous reste quatre mois pour les trouver, dit-elle, je suis sereine. »
Cette addition de millions, une véritable valse, dessine un tableau singulier. Durant la législature 2012-2017, le Front national a perçu 45 millions d’euros de dotations publiques, il en a emprunté au moins 19 et il en cherche encore 6. Le total culmine donc à 70 millions d’euros. A vue de nez, on dira que c’est beaucoup. Et il faut préciser que cette somme n’intègre pas les remboursements par l’Etat des sommes avancées lors des différentes campagnes électorales.
Du coup, on peut se poser la question. Existerait-il une forme de gabegie ou de gaspillage au Front national? Est-on certain que l’argent qui passe entre les mains des divers responsables de ce parti est correctement dépensé? Le doute s’épaissit à la lecture du magazine Le Point, daté du 5 janvier 2017, qui apporte une contribution amusante à cette question.
Le journaliste Hugo Domenach livre dans ce journal un portrait fouillé de Florian Philippot, le vice-président du Front national. « Il bénéficie, écrit l’auteur de l’article, d’un soutien sans faille de Marine Le Pen. » Et pour quelle raison? « Parce qu’elle adore les gens qui bossent », explique Sébastien Chenu, un dirigeant frontiste. Lequel précise: « Il y a tellement de branquignols qui vivent sur la bête dans le parti. »
Cette citation nous rappelle opportunément qu’un parti politique est un conglomérat opaque. De l’extérieur, personne ne sait vraiment ce qui s’y passe. Des gens nombreux passent et repassent, jouent tous les importants, livrent des notes, des expertises, des analyses. Sont-ils payés, défrayés, rémunérés pour le faire? Parfois oui, parfois non. C’est souvent le chef qui décide, et se crée ainsi des réseaux de fidèles. Un parti, c’est souvent une société d’irresponsabilité, où les risques d’évaporation financières sont multiples. Il semble bien que le Front national n’échappe pas à cette règle et ressemble en cela comme un jumeau à ses frères en politique.
Peut-être est-ce aussi pour cela que les banques rechignent à prêter de l’argent au Front national. Si les bilans sont désordonnés, les comptes mal régulés, les dépenses peu maîtrisées, les crédits empilés, on peut comprendre la frilosité des professionnels de la finance à avancer de l’argent. Après tout, quel épargnant français se plaindrait d’une banque soucieuse de ne pas distribuer n’importe comment les économies placée sous sous sa responsabilité?
Dans le rapport curieux qu’entretient le Front national avec l’argent, il faut aussi noter le recours permanent à Cotelec, cette structure de financement de l’action politique créée en 1988. Pourquoi Marine Le Pen ne s’affranchit-elle pas de cet organisme, alors même qu’elle a politiquement rompu avec son père? Celui-ci gagne-t-il de l’argent en se faisant le prêteur du Front, malgré son exclusion? Et exerce-t-il une forme de chantage sur sa fille en l’obligeant à continuer à recourir à ses services pour garantir une source de revenus personnels? Après tout, Marine Le Pen a suscité la création d’une propre structure de financement, baptisée Jeanne. C’était en 2010, avant même sa première campagne présidentielle de 2012. Pourquoi ne l’utilise-t-elle pour financer la campagne présidentielle 2017, plutôt que d’accepter les 6 millions d’euros de Cotelec et de ce père si encombrant? D’ailleurs, en écrivant cela, on mesure l’ignorance de la situation. Si ca se trouve, Marine Le Pen utilise aussi Jeanne pour financer, d’une manière ou d’une autre, sa campagne présidentielle, et nous n’en savons rien.
Comme souvent, la politique conserve jalousement sa part d’ombre. Dans le cas du Front national, la relation de la famille Le Pen avec l’argent parait complexe, presque tortueuse. Les millions s’empilent sans que l’on en mesure réellement ni l’utilité ni la pertinence pour le financement de l’action publique. Dans cette affaire où règne l’obscurité, un peu de transparence ne nuirait pas.
On peut toujours rêver, non?
PS1: si des dirigeants du Front national veulent livrer des informations concernant le financement de leur parti, ce blog accueillera bien volontiers leurs contributions.
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PS3: Jean-Luc Mélenchon se présente comme le « pestiféré de la scène. » Il vient pourtant d’obtenir un prêt de 8 millions d’euros pour mener sa campagne présidentielle. Pas mal pour un « pestiféré ». Il parait que deux banques assurent ce prêt. Peut-on, au nom de la transparence, connaître leurs noms?