La politique est une activité de dissimulation qui finit toujours par accoucher de la vérité. Ce théorème, dont le charme se nourrit de son paradoxe, se vérifie à la lecture de l’interview que Jean-Luc Mélenchon accorde au journal Le Monde, ce vendredi 6 janvier 2017.
Cet entretien, témoignage éclairant de l’intelligence stratégique du candidat à l’élection présidentielle, couvre l’ensemble des questions auxquelles il se trouve confronté: concurrence à gauche, opposition au candidat des Républicains et à la candidate du Front national, politique économique, questions diplomatiques.
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C’est ce dernier aspect qui retient l’attention. Comme toujours, la pensée de Jean-Luc Mélenchon est claire, précise aussi, et ce sont ses qualités qui dévoilent ce que peut-être le leader de la France insoumise aurait aimé cacher et dont il fait l’aveu pratiquement malgré lui.
Question du Monde:
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Quel regard portez-vous sur Vladimir Poutine?
Réponse de Jean-Luc Mélenchon:
Chaque fois que la propagande des Etats-Unis fabrique un démon, on m’y associe. C’est Castro à Cuba. C’est Chavez au Venezuela. Et maintenant, c’est Poutine. Parce que je dis que la Russie doit être un partenaire, forcément je devrais aimer M. Poutine et approuver tout ce qu’il fait ? Non ! Je suis français. Mon point de vue est strictement français.
Il faut d’abord noter que le candidat ne répond pas à la question posée. Il élude volontairement la formulation d’un jugement sur le président russe. Il y aurait beaucoup à dire, pourtant, sur sa gestion du pouvoir, sa manière de réduire au silence toute opposition, la brutalité qu’il emploie pour parvenir à ses fins, le pillage du pays auquel il se livre depuis quinze ans avec son petit groupe de dirigeants, pour la plupart issus de l’appareil de sécurité du pays. De tout cela, Jean-Luc Mélenchon ne veut pas parler. Et pour justifier sa dérobade, il emploie cette phrase: « Je suis français. Mon point de vue est strictement français. »
Cette formulation, abrupte, dévoile d’un coup la vision du monde Jean-Luc Mélenchon.
Voilà pratiquement trois générations maintenant que la politique étrangère, la diplomatie, le rapport de la France avec les autres pays de la planète, sont enserrés dans un cadre qui dépasse notre nation et qui intègre les intérêts de nos partenaires européens. Aucun dirigeant français, depuis plus de cinquante ans, n’a prononcé ce type de phrase: mon point de vue est strictement français, parce que ce type de phrase est contraire à ce que vit la France depuis au moins le traité de Rome de 1957.
Concrètement, les intérêts de la France et de l’Allemagne, un rapport qui détermine beaucoup de choses en Europe, sont tellement imbriqués, depuis tellement longtemps, que chacun des dirigeants qui s’est succédé dans ces deux pays a intégré à sa vision du monde les intérêts du pays dont il est le partenaire.
Ceci d’ailleurs est particulièrement vrai dans la définition de la relation que nous entretenons avec la Russie. Historiquement, et dans de multiples circonstances, la France a été l’alliée de la Russie quand l’Allemagne l’a regardé avec beaucoup plus de méfiance, et de l’hostilité parfois. Cet héritage culturel demeure vivant dans la définition de la politique contemporaine et les dirigeants français contemporains ont toujours été soucieux de prendre en compte la méfiance de l’Allemagne vis-à-vis d’une Russie toujours menaçante pour cette frange de l’Europe qui vit au bord du grand empire.
Jean-Luc Mélenchon, par son propos, montre qu’il se situe en rupture avec cet héritage politique. Sa seule préoccupation, dans sa construction de la place de la France dans le monde, est nationale. Et il le dit sans détours. Ce n’est pas par volonté polémique qu’il faut noter ce qui suit, mais un seul autre parti dans l’hexagone définit ainsi son hypothèse de politique étrangère: le Front national.
Cette phrase: mon point de vue est strictement français, Marine Le Pen aurait pu la prononcer.
Mais la présidente du FN possède un avantage par rapport à Jean-Luc Mélenchon: la cohérence. Sa vision strictement hexagonale de nos intérêts la conduit à souhaiter la disparition de l’euro. Une telle position n’est pas celle de Jean-Luc Mélenchon, du moins pas formellement, ou pas pour l’instant. Car on sent à divers indices, et ce passage de l’interview du Monde en est un de taille, que le patron de la France insoumise a désinvesti depuis longtemps l’idée européenne et qu’il conçoit l’euro, et la coopération qu’il nous impose avec l’Allemagne, plutôt comme un embarras que comme un avantage.
Poursuivons dans cette veine. Jean-Luc Mélenchon était l’invité de France Inter, le mercredi 4 janvier. La question posée est celle, dans l’hypothèse de son accession à l’Elysée, de la perspective d’une négociation commerciale avec le nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump. Réponse du leader français:
« Je me réjouirais de traiter avec un homme pareil. Il prétend se situer sur la base des intérêts nord-américains, donc il comprendrait parfaitement que je me situe strictement sur le point de vue des Français. »
La réthorique est la même que par rapport à la Russie. Peu importe les analyses, les souhaits et la position des pays avec qui nous partageons le destin depuis des années. Seul compte pour lui le « point de vue des Français ». Ce discours nationaliste, formulé sans fard, presque provocant, constitue une véritable rupture avec l’esprit traditionnellement dominant à gauche.
Évidemment, Jean-Luc Mélenchon est trop subtil pour théoriser vraiment sa pensée sur ce point. Il sait qu’il effraierait nombre de ses soutiens actuels, qui s’alarmeraient notamment dans ce cas de la ressemblance de sa pensée avec celle des dirigeants du Front national. Bien sûr, le leader de la gauche a commis en son temps un pamphlet contre l’Allemagne, mais il n’en a pas tiré jusqu’ici la conclusion spectaculaire d’une rupture avec notre grand voisin.
C’est une vieille leçon que nous connaissons tous: le refoulé pointe toujours son nez d’une manière ou d’une autre. A l’évidence, Jean-Luc Mélenchon possède une grande maîtrise de son esprit. Malgré tout, lorsque l’essentiel se présente dans une question finalement anodine, alors la vérité se dévoile et s’impose, certes de manière légère et partielle, mais suffisamment significative pour que chacun de ceux qui s’intéresse à ces questions y voit clair.
PS1: Si Jean-Luc Mélenchon souhaite préciser sa pensée ou répondre à l’analyse publiée ici, ce blog sera bien évidemment accueillant à ses propos.